Marie-Thérèse

Abéla

le mythe de la Résurrection

JS n° 43, 02/2005

 

< - Bible grecque résurrection

Notre Dame des Fontaines, Vallée de la Roya 06

Résurrection de Giovanni Canavesio 1495

 

Retour accueil site   Textes Bibliographie Contacts


 

     Le Royaume de Dieu (ou des cieux) est au cœur de la prédication de Jésus. "Il enseignait dans les synagogues la bonne nouvelle du royaume de Dieu". Il évoque ce royaume dans des paraboles et au cours de ses rencontres. Ce royaume est comparé à une perle rare, à une graine, à un trésor caché, à un ferment. Il n'est pas de ce monde. Pour le voir, il faut naître d'en haut, c'est à dire opérer un passage d'un niveau d'être à un tout autre niveau. C'est ce qui était demandé à Nicodème et à la Samaritaine. Ce royaume est une réalité intérieure. Il est proche. Il est déjà là. Il est à l'intérieur de vous. "Ce que vous attendez est venu mais vous ne le connaissez pas." Malheureusement, ce terme de "royaume" passe mal dans nos mentalités modernes. Le mot "éveil" serait plus évocateur mais a-t-il exactement le même sens ? "Le royaume des cieux, que les Orientaux appellent l'Eveil, est cette plénitude intérieure que cherchent les contemplatifs qu'ils soient hindouistes , bouddhistes, ,juifs, chrétiens, soufis, animistes, agnostiques ou athées…"[3].

     Mais, après la mort de Jésus, cette annonce essentielle du royaume est laissée dans l'ombre. L'accent est surtout mis sur la résurrection. On construit alors les récits du tombeau vide et des apparitions. Ces récits sont faits en termes objectifs, réalistes, quasi historiques. Jésus est sorti vivant du tombeau, avec son corps, avec sa chair et il a toutes les apparences d'un homme vivant. Les disciples s'entretiennent avec lui; ils mangent ensemble et partagent le poisson grillé. Cependant, ils ont parfois du mal à le reconnaître au premier abord et il disparaît subitement de leur présence. L'apôtre Paul parle d'un "corps spirituel".

Pourquoi le message du Royaume intérieur, sur lequel Jésus insistait tant, a-t-il laissé la priorité, après sa mort, à un message de résurrection ? Les historiens y trouvent plusieurs raisons :

    D'une part, explique Emile Gillabert, "Jésus annonce un royaume qui n'est pas celui qu'attendaient les Juifs". L'aventure du royaume est une aventure intérieure qui suppose une recherche patiente et amène à une transformation progressive. "Les disciples ne comprennent pas ou ne supportent pas ce message. Un dialogue de sourds s'instaure entre Maître et disciples. Ceux-ci ne se résignent pas à renoncer au grand rêve du salut d'Israël." Ils  transposent à l'extérieur d'eux-mêmes ce qu'ils ne sont pas capable de vivre à l'intérieur et en font un grand mythe. "L'éveil intérieur annoncé par Jésus est devenu résurrection."[4].

     D'autre part, les premiers chrétiens, après maintes controverses, ont finit par confier la direction de l'Eglise aux disciples arrivés les premiers au tombeau vide de Jésus et considérés comme les premiers témoins de la Résurrection. C'étaient Pierre et Marie-Madeleine – mais elle n'était qu'une femme… C'est finalement Pierre et ceux qui lui ont légitimement succédé qui sont devenus chefs de l'Eglise jusqu'à nos jours. Elaine Pagels souligne que si l'historicité du tombeau vide et des apparitions n'avaient pas été fortement affirmées, la primauté de Pierre aurait été remise en question. La doctrine du tombeau vide et de la résurrection corporelle de Jésus légitime l'autorité des dirigeants de l'Eglise, successeurs de Pierre. "Cette théorie - que toute autorité dérive de l'expérience que firent certains apôtres du Christ ressuscité, expérience que jamais plus ne peut se renouveler - entraîne de vastes implications pour les structures politiques de la communauté"[5]. Elle consolide à jamais le pouvoir du pape et des évêques.

     Les chrétiens de sensibilité gnostique regrettaient cette organisation du pouvoir. Ils pensaient que l'autorité dans l'Eglise devait être exercée par ceux qui avaient le plus de maturité spirituelle. Mais leur opinion n'a pas été écoutée.

     Il y avait aussi l'attente des peuples voisins où l'angoisse de la mort était omniprésente.  "Cette angoisse a permis au christianisme de s'imposer en postulant une résurrection intégrale, y compris celle de la chair, et de la promettre à tout le monde, démocratisant ainsi la perspective de la vie après la mort"[6].

    Enfin, il y a eu l'influence prédominante de Paul dans les Eglises primitives. Paul ne s'est pas intéressé à la vie concrète de Jésus ni à sa prédication (les connaissait-il ?) et il ne fait guère de place à son message d'éveil intérieur. Seules sa mort et sa résurrection ont été intégrées dans ses écrits, et c'est ce thème qu'il a prêché inlassablement aux premières communautés.

    C'est ainsi que le contexte historique de départ a favorisé l'image de la résurrection corporelle de Jésus telle qu'elle a été comprise pendant des siècles de christianisme.

Les chrétiens ont l'habitude d'associer étroitement la mort et la résurrection de Jésus. On dit couramment "mort et ressuscité". Or il s'agit de deux événements qui n'appartiennent pas au même registre. La mort de Jésus est une réalité historique, physique, matérielle, comme la mort de tous les humains. Sa résurrection est un événement spirituel. C'est un éveil au royaume intérieur qui a lieu au cours de la vie et non après la mort. Ce n'est pas un moment particulier de son parcours, un fait ponctuel. C'est un événement permanent. "Au matin de Pâques, il ne s'est rien passé" dit Bernard Feillet .[7] Ainsi, Jésus s'éveille (ressuscite) bien avant sa mort.(…) Après sa mort, ses disciples ont fait une expérience que Jean Jacob appelle "l'inouï": "En dépit de son élimination, Jésus leur parvenait encore." Ils se sentaient visités par une présence mais ils n'avaient pas de mots pour dire cette expérience intérieure. Leurs divers témoignages sur la Résurrection sont des essais pour dire ce qui se passe en eux et les récits sont souvent confus et incohérents. Ces récits témoignent de leur douleur et, tout à la fois, d'une joie qui est porteuse de vie[8].

    Cette expérience est celle des disciples qui ont connu Jésus. Ils en parlent entre eux et essaient de comprendre ce qui leur arrive. Elle est aussi sans doute celle de tous les "témoins de la Résurrection" quelles que soient les "apparitions" dont ils ont bénéficié.

 

Le terme résurrection est certainement ambigu. Il embarrasse les théologiens contemporains. Ainsi, Marie-Emile Boismard a intitulé un de ses livres: "Faut-il encore parler de résurrection ?" et il conclut par une citation de P. Masset: : "Le mot "résurrection" est lui-même une image. Il risque de nous induire en erreur dans la mesure où il évoque l'idée d'un cadavre qui se réveille, revient à la vie, se lève et surgit du tombeau" [9]. Notre résurrection est la même que celle de Jésus. C'est la présence du Royaume en nous dans la vie présente. C'est rejoindre notre être véritable, notre "je" éternel.

 

Raimon Panikkar situe aussi la résurrection pendant la vie, avant la mort. Cette résurrection est l'accession à la vie infinie, pleine, définitive, l'accomplissement spirituel ultime. "Or cette vie infinie ne vient pas après la vie finie: elle est la dimension en profondeur de cette vie même. C'est pourquoi si je ne vis pas maintenant ma résurrection, je ne la vivrai jamais (…) La vie éternelle n'est pas la continuation de la vie temporelle. Si vous ne naissez pas maintenant à la vie, vous ne vivrez jamais"[10].

 

    Dans le langage courant, le terme "résurrection" désigne un événement miraculeux qui se situe après la mort. Ainsi, quand Georges Sauvage écrit: "Jésus n'est pas ressuscité"[11] , il refuse simplement de croire à la résurrection corporelle, matérielle et miraculeuse de Jésus qui aurait eu lieu quelques jours après sa mort. Le message essentiel de Jésus ne porte pas sur l'au-delà de la mort, mais sur la vie terrestre des hommes, leur cheminement, leur éveil. Il ne concerne pas l'après-mort. Jésus partageait les croyances de ses contemporains sur ce sujet et quand il en parlait, c'était en échos à ces croyances.

 

Si ce qu'on appelle résurrection est une transformation spirituelle qui prend place au cours de la vie, avant la mort, pour Jésus comme pour nous, qu'en est-il de la vie après la mort? Les hommes au cours des âges ont toujours cherché des réponses et formulé des hypothèses à ce sujet. Ainsi actuellement, en Occident, certains témoignent de communication avec leurs morts, soit immédiatement après la mort, soit tout au cours de la vie. D'autres font confiance à la réincarnation (30% des Européens) grâce à laquelle ils espèrent parfaire leur parcours sur terre. "L'idée de réincarnation est séduisante car elle offre une seconde chance. Elle propose de considérer une vie amoindrie,  ou non aboutie, comme un coup d'essai"[12]. D'autres encore, qui ont côtoyé la mort de près, racontent leur expérience de pré-mort.

Raimon Panikkar , lui, écrit ceci : "Penser qu'il y a une autre vie, c'est possible. Je n'en sais rien, mais cela n'est pas la vie éternelle. Si je vis la vie éternelle ici et maintenant, cette vie, lorsque je mourrai, sera toujours vie éternelle". Et il cite pour illustrer ce propos la métaphore de la goutte d'eau: "Nous sommes des gouttes d'eau. Qu'advient-il de la goutte d'eau lorsque je meurs ? La goutte disparaît (…) (elle) tombe dans la mer mais l'eau ne disparaît pas pour autant. (Elle) ne cesse pas d'être eau - mon eau-, l'eau que je suis …en profondeur".  

   Marie-Thérèse Abéla

 


[1] Agnès Munier , Jésus simplement, n° 6 du 18 octobre 1996.

[2] Jacques Rivet lors d’une rencontre du mouvement “ Jésus simplement ” à Mirmande, du14 au 19 septembre 2001.

[3] Etienne Godinot, “ Habiter le moment présent ”, La Croix du 19 août 2004.

[4] Emile Gillabert – Paroles de Jésus et sagesse orientale, Ed. Dervy, 1997, p. 12 et 17.

[5] Elaine Pagels – Les évangiles secrets, Ed. Gallimard, 1982, p. 45.

[6] Edgar Morin, Le Monde des religions, n° 8, nov.-déc. 2004, p. 50.

[7] Bernard Feillet Rencontre à l’Aube, centre où travaillait Louis Evely, 2003.

[8] Jean Jacob, livret diffusé en 1999, p. 49.

[9] Marie-Emile Boismard -Faut-il encore parler de “ résurrection ” ?, Ed. Cerf, 1995, p. 162.

[10] Raimon Panikkar – Entre Dieu et le cosmos, Ed. Albin Michel, 1998, pp. 94 et 95.

[11] Georges Sauvage, Jésus Simplement, n° 35, p. 5.

[12] Daniel Marguerat et Denis Muller – Mourir…, et après ?, Ed. Labor et Fides, 2004, p. 75.

[13] Etienne Godinot, “ Gandhi n’est pas mort ”, La Croix du 1er février 1978.

 


Retour accueil site   Textes Bibliographie Contacts

@2006 JS "Jésus simplement" mise à jour le 11/04/2006