Quelques passages de Légaut qui semblent écrits pour nous ! ...

Dans « Méditation d'un chrétien du vingtième siècle » de Marcel Légaut (1983), extraits des pages 11 à 14

dans JS n°38  05/05/03 .

 

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... Non, nul ne peut entrer dans l'intelligence de ce que Jésus a vécu sans prendre connaissance des données les mieux établies de son histoire. Mais, ces connaissances, même issues des travaux exégétiques les plus vigoureux, même étayés par les doctrines les plus ouvertes sur les résultats des sciences et en en tenant réellement compte, ne peuvent dispenser personne d'une activité spirituelle qui lui soit propre et qu'il a à découvrir par lui-même pour se rendre présent et réel ce que Jésus a eu à vivre. Dans cette activité spirituelle entrent en jeu toute sa vie personnelle passée, au-delà même de la conscience qu'il en a, et aussi toutes ses potentialités, déjà connues ou encore inconnues de lui. Aussi cette intelligence est-elle pour chacun à la mesure exacte de ce qu'il est. Elle grandit avec la dimension humaine qu'il atteint. Elle dégénère quand il s'égare et s'écarte du droit fil de sa vie

D'ailleurs, plus cette intelligence, nourrie de la foi et de la fidélité, prend d'importance par ses recherches et grâce à ses découvertes dans la vie d'un tel croyant, plus celui-ci en retour approfondit son humanité et s'engage sur le chemin qui est sien. Il découvre peu à peu le sens de son existence, atteint à une certaine pré-conscience, en secrète relation avec ses possibilités, de l'essentiel qu'il a à vivre, et finalement approche de son mystère. Comment pourrait-il autrement affronter, sans en être écrasé, l'Univers d'où il est issu et en lequel, de façon inéluctable, il semble devoir à jamais retourner et se résorber, s'il n'en devient pas un fruit ? En s'échappant des conditions immuables de structure qui soutiennent aveuglément les éléments du Monde, ne lui donne-t-il pas sens ?

L'activité essentiellement personnelle qui s'efforce vers une compréhension en profondeur de ce que Jésus a vécu est au début sporadique. Elle deviendra peu à peu comme continue et spontanée. A certaines heures, elle permettra d'atteindre à une vision globale, totalisante de Jésus. Ainsi que plus tard on le comprend à l'expérience, cette activité qui relève de l'attente et de l'attention s'exerce aussi de façon tout à fait inconsciente, préparant dans l'obscurité des temps atones, des moments de lumière où jailliront quelques intuitions mères. Celles-ci, apparues chacune à son heure, d'abord éparses, arriveront peu à peu, par un travail lent et souterrain de maturation, à se rejoindre, à se compléter, à se renforcer mutuellement. C'est là un sujet d'émerveillement qui porte à réfléchir sur le travail mystérieux qui se fait en soi, bien au-delà de ce qu'on veut et de ce qu'on fait, lorsqu'on est suffisamment fidèle au quotidien que l'on se doit de vivre, et de vivre en s'y adonnant... [...]

Grâce à cette intelligence toujours en éveil sinon toujours à l'oeuvre, une interaction continuelle, sans cesse plus étroite, plus puissante, se développera entre ce que Jésus a vécu et ce que son disciple a à vivre. En s'adaptant à son temps et à son lieu, le témoignage du disciple sera l'écho du témoignage de Jésus, sa mission prolongera celle de son maître.

Dans la mesure où cela lui sera donné et où il s'y appliquera, dans la mesure aussi où le lui permettront sa profondeur humaine et les connaissances dont dispose sa génération, le disciple sera conduit à mettre en évidence certains aspects des comportements de Jésus qui sont d'importance pour son propre cheminement, qui peuvent l'être aussi pour beaucoup d'autres, et sur quoi on n'avait pas jusqu'ici porté une particulière attention. Parallèlement, il sera amené à expliciter certaines conséquences que les manières d'être de Jésus comportaient en puissance, conséquences que jusqu'alors nul n'avait encore suffisamment mises à jour, et dont sans doute sur le moment Jésus lui-même n'avait pas eu conscience. Ainsi ce disciple se trouvera conduit à entrer indirectement et peu à peu dans une compréhension plus profonde et plus juste de qui a été Jésus et de sa singularité extrême. Il préparera de la sorte une manière de « reconnaître » Jésus et de croire en lui, laquelle sera acceptée sans hésitation tant elle s'imposera comme vérité indubitable dont il convient de se nourrir, tandis que, dans les conditions présentes, par sa « nouveauté » elle serait « pierre d'achoppement » pour beaucoup...

Ce cheminement patient, discret, qui fait approcher du mystère de Jésus sans rien devoir à ce que la religiosité naturelle à l'homme lui impose au sujet de Dieu, est aussi la voie qui permettra de faire du mystère de Dieu une approche plus digne de ce que Jésus a vécu et de ce que chacun a à vivre pour atteindre, selon sa mesure, à la plénitude.

C'est ainsi que ce croyant se dégagera peu à peu des facilités, désormais indues pour lui, et des habitudes de piété, désormais factices à ses yeux, bien que ces facilités et ces habitudes héritées du passé l'aient jadis aidé à croire et à vivre en chrétien. C'est ainsi également qu'il tiendra son rôle dans l'Église où il est né et que de sa place il l'aidera à vivre en la portant à se purifier et à s'approfondir dans la fidélité à Jésus.

A certaines heures, ce « croyant de croyances » en voie de devenir « croyant de foi » se rend comme actuel ce que Jésus a eu à vivre, bien que ce soit trop éloigné dans le temps pour être connu pleinement et avec certitude de manière objective. Quand un futur disciple se trouve élevé à cet état, les distances de tous ordres qui le séparent de ce que Jésus a vécu de façon éminemment humaine et particulièrement puissante, en arrivent à être en quelque sorte supprimées...

En complément à ce texte et pour répondre à la surprise de certains qui s'étonnent parfois que l'on puisse s'intéresser à ce qu'un être, aussi important soit-il, ait pu vivre il y a plus de 20 siècles (qui n'aurait plus rien à voir avec notre temps), quelques phrases extraites d'un texte de Graf Dürckheim, sur ce fond commun à l'homme quelque soit sa culture, sa tradition...

 

« ... On doit donc reconnaître que si l'homme est capable de percer les différentes couches de ses conditionnements personnels et collectifs, il arrive à toucher quelque chose qui est identique pour tous les hommes. Si l'homme ne tombe pas dans le piège de vouloir immédiatement interpréter son expérience en termes de sa tradition ou de sa culture et qu'il se contente d'une expression spontanée, celle-ci sera toujours et partout la même. Au fond ce n'est pas étonnant, l'homme est l'homme ; la réalité est la réalité ; le divin est le divin ! Alors au fond, on devrait toujours et partout trouver la même chose.

Les différences sont celles de l'interprétation de l'expérience. Interprétation qui investit la culture, la tradition, la maturité personnelle. Mais ce qui importe est de se rendre compte qu'il y a quelque chose en commun. Ce fond commun se révèle dans l'expérience mystique. »

 

Marcel Légaut

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p. 82 dans « Le centre de l'Étre » de G. Dürckheim

 


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@2006 "Jésus simplement" mise à jour le 11/04/2006