« ...
Comme c'est l'année 2000 (un peu partout ont lieu des
réunions en souvenir de Marcel Légaut), je vous
propose de l'évoquer tel qu'il m'est apparu au cours
des longues années où je l'ai rencontré... et tel
qu'il m'a permis de recevoir les témoignages concernant
Jésus, surtout les évangiles (je les ai reçus
autrement depuis cette rencontre !).
1 ère chose
: Marcel Légaut était Marcel Légaut ! J'ai rarement
vu quelqu'un à ce point être lui-même comme lui :
c'est capital, surtout quand, à l'avenir, on voudra
aussi témoigner de Jésus.
L'avenir
témoignera, à partir des êtres tels qu'ils sont, et
tels qu'ils deviennent et non plus, en ce qui concerne
Jésus, à partir de certaines représentations
théologiques ou autres...
M.
Légaut, par tout lui-même, renvoyait à Jésus :
c'était un vivant qui vivait en communion avec Jésus.
Sa connaissance croissante de Jésus, lui permettait
d'accéder sans cesse davantage à lui-même et ainsi
d'entrer de plus en plus dans une intelligence
renouvelée de Jésus. Pour moi, M. Légaut 2000, je
pourrais dire aussi Jésus 2000, car il y a une
présence nouvelle de Jésus qui m'est parvenue depuis
ma rencontre avec M. Légaut.
C'est ce
devenir, cette accomplissement progressif qui lui
permettait de prendre distance par rapport à tout ce
qui avait été dit pendant des siècles concernant
Jésus cette consistance lui permettait de prendre
distance (ce qui ne veut pas dire rejeter ) cette
distance permet un renouvellement d'attention qui
suscite une interrogation; et c'est paradoxalement cette
interrogation qui permet de s'intéresser à nouveau à
celles et à ceux qui nous ont précédés (car je suis
suffisamment devenu moi-même pour pouvoir prêter
l'oreille).
Pour chaque
texte que j'avais sous les yeux, je me disais :
"qu'est-ce que telle ou telle personne a vécu,
qu'est-ce qu'elle est devenue pour être amenée à dire
ce que j'ai là".
Quand on
est dans un tel contexte ( d'une expérience de
présence), et qu'une personne est "absente"
de son dire, alors ce dire ne parvient que comme un
simple écho d'une proclamation qui a frappé son
oreille : elle a entendu dire et elle répète... Dès
lors, on peut être amené à s'interroger sur des
personnes qui proclament, avec comme seul souci,
réentendre ce qu'elles proclament...
Au
contraire, dans d'autres témoignages qui parviennent,
si une personne est présente dans ce qu'elle dit (comme
je l'avais constaté pour M. Légaut qui à la relecture
de ses propres textes, confirmait... ou bien il disait
"non, je ne dirais plus comme ça aujourd'hui, ou
bien il ajoutait quelque chose : il n'y avait jamais de
répétition, ou alors, c'est qu'il avait déjà réussi
à se dire), si donc une personne est présente dans son
dire, c'est justement la vie qui anime ce
"dire" qui attirera toute notre attention. Ce
ne sera plus le dire dans sa littéralité qui va nous
impressionner.
J'ai vu
ça pendant 30 ans au cours de mes études : «
qu'est-ce que Jésus a dit exactement ?... » comme si
la littéralité parvenait automatiquement à rencontrer
quelqu'un, mais c'est la vie qui est à l'origine du
dire! Qu'est-ce qui pointe dans tel texte, dans telle
parole ?
C'est
dans un contexte comme ça que j'ai pu me rendre compte,
dans le cas des évangiles, que la répétition
littérale n'existait pas puisque, au contact de Jésus
qui se disait au milieu de ses disciples et leur
permettait peu à peu de prendre conscience d'eux-
mêmes, c'était quelque chose qui commençait à se
dire... Exemple, si vous racontez ça avec un style
d'époque, vous pouvez dire que le Saint-Esprit a donné
le don des langues; aujourd'hui, si vous dîtes ça,
plus personne ne comprend ce que ça veut dire : c'est
une façon de parler, ce n'est pas la littéralité,
mais ce que ça peut signifier...
Ainsi, à
l'écoute des tous premiers témoins de Jésus, Légaut
constate que les premiers disciples avaient très
rapidement dit de Jésus qu'il est le Christ, qu'il est
le Messie, qu'il est le Fils de l'Homme, qu'il est ...On
ne peut pas contester ça et on constate en même temps
que Jésus lui-même, en ce qui le concerne, ne s'est
jamais référé à des attentes ou à des annonces qui
le précédaient. Je ne dis pas que, de temps en temps,
cela aussi ne pouvait pas l'aider à se comprendre, mais
Jésus est un être qui ne s'est jamais référé qu'à
lui- même : c'est très important. Dans l'Histoire, je
vois essentiellement deux êtres comme ça : Jésus et
Gautama (le bouddha) ; des êtres qui étaient la
référence de tout ce qu'ils disaient, en raison de la
personne, de l'être qu'ils étaient devenus et d'une
certaine plénitude qu'ils avaient acquise. Ca
débordait d'eux :"la bouche parle de l'abondance
du coeur".
Quand
Légaut constatait tout ceci (c'étaient les disciples
qui disaient :"il est ceci..."), il ne
rejetait pas, mais il prenait distance et il
s'interrogeait sur la vie de ces disciples
:"qu'est-ce qu'ils ont dû vivre au contact de
Jésus pour avoir été amenés à dire ça, en raison
du contexte historique qui était le leur où Jésus
devait être le Messie, le Fils de l'Homme"... Tout
le peuple juif, surtout à l'époque de Jésus,
attendait quelqu'un, décrit comme un
"champion" de Dieu. Mais sous l'effet de la
rencontre de Jésus (c'est la surprise), une fois la
rencontre faite, ils se disaient :" c'est
évidemment lui qu'on attend"; à ce moment là, la
rencontre faisait appel à toutes ces attentes pour
essayer de l'expliquer; ça va être un piège... Mais
il fallait quelque chose d'intensément vécu pour
qu'ils soient amenés à parler ainsi.
Jean Jacob
Extrait
de la méditation d"Emmäus de Marcel Légaut :
"Ils
s'étaient trouvés auprès de lui, à son contact et
avec la totalité de leur être, ils avaient répondu à
l'appel que la présence leur donnait d'écouter au plus
profond d'eux- mêmes". Non seulement le
"contact" avec Jésus était dû au fait que
Jésus était un être assez étonnant et
extraordinaire, mais cette présence était quelque
chose qui leur faisait percevoir au-dedans d'eux, des
choses qu'ils ne percevaient pas indépendamment de sa
présence. Et M. Légaut disait :"C'est ce qui
m'intéresse" et c'est ça qu'il essayait de vivre;
et c'est pour ça qu'il restait tout le temps dans cette
méditation de Jésus, car cette méditation lui
permettait d'atteindre en lui-même et de déceler en
lui-même des choses qu'il était incapable d'atteindre
par lui-même, seul (c'est "son" expérience)
.
Or, il
est très rare qu'un être qui nous a été , à un
moment donné, présent, puisse continuer à nous rester
présent. Pour moi, suite à M. Légaut (c'est beaucoup
plus difficile !...), qu'est-ce que ça demande de
nous-même comme présence, comme écoute de l'un à
l'autre pour qu'une présence déjà née puisse sans
cesse être reprise, revécue. Et je pense que pour
l'essentiel, l'expérience humaine, surtout pour
l'avenir, sera l'expérience d'une présence. Tout ce
qu'on est capable de faire aujourd'hui, c'est inouï !
... mais où sommes-nous dans toutes ces réalisations
absolument époustouflantes ?
... Le
fond de nous-même, c'est de devenir présents les uns
aux autres et rien, rien ne pourra, quant au fond, nous
tromper là dessus, même si ça prend des années ou
des siècles. Quand j'entendais M. Légaut ainsi,
j'avais comme une expérience renouvelée de Jésus.
... Si
quelqu'un parvient un peu à se dire et qu'on le lit, on
peut partager l'expérience : à ce moment là, il ne
nous apprend rien de l'extérieur mais par ce qu'il
écrit et moi par la lecture, je suis donné à
moi-même...
Il y a
des paroles de Jésus qu'on n'a pas comprises. Jésus
disait : Il n'y a rien de plus précieux que
vous-mêmes. "Un être humain, même s'il venait à
gagner le monde entier..." et bien, si ça porte un
peu atteinte à lui-même, il a perdu au change.
Jésus et
Gautama sont semblables. Ils se sont découverts grâce
à leur propre cheminement et à leur propre
accomplissement; ils ont tous les deux faits cette
expérience bouleversante qu'au bout, devenus
eux-mêmes, ils sont remplis d'une plénitude, de
bienveillance. d'amour... et ils vivent en même temps
que c'est le lot de tout un chacun.
Tous les
deux ont la même image :"même si c'est à l'état
d'un grain..." dit Gautama ; "même si ce
n'est qu'un petit grain de sénevé..." pour
Jésus. C'est pour ça qu'il faut s'encourager
mutuellement, un mot gentil, un regard... ça peut, tout
à coup, rendre quelqu'un à lui-même. On ne peut rien
faire de plus beau, de plus précieux...
Le jour où on prendra
conscience de ça, nous organiserons autrement notre vie
en : c'est une question d'attention, d'expérience de
présence... »
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