Georges Sauvage

 

dans les pas de 

 

Marcel Légaut

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J’ai rencontré, parmi ceux qui ont fréquenté Marcel Légaut, Georges Sauvage, un franciscain, capucin. Il a été directeur du petit séminaire des capucins à Angers, puis pendant 19 ans membre des missions régionales en milieu ouvrier, puis aumônier pendant douze ans à la prison de Fleury-Mérogis, puis ermite-concierge en région parisienne.  Pendant cinq décennies, il a été un ardent admirateur et prédicateur du mystère de l’Incarnation de Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme, et cela au-delà de toutes les objections historiques, exégétiques, rationnelles dont il avait conscience. Il a “ craqué ”, à l’âge de 70 ans (il en a maintenant 85) en découvrant avec M. Légaut l’expérience de Ieshoua, juif fervent, confirmé, lors de son baptême dans le Jourdain, de la justesse de ce qu’il portait en lui, en accord avec les textes les plus profonds de la Torah et des Prophètes, mais si peu avec la mentalité ambiante et les commentaires habituels.

 

Ieshoua était alors parti sur les routes de Galilée afin de partager avec ses compatriotes ce qui lui semblait si important pour eux comme pour lui : croire dans la vie, vivre en relation avec leur Père du ciel qui ne marchande pas son amour en fonction des mérites ou des fautes, croire dans son Royaume qui ne correspond pas à un territoire, mais à une fidélité active aux appels et aux exigences de la vie.

 

Celui qui disait tout cela avec tant d’assurance n’était qu’un Juif parmi d’autres, mais c’était si simple, si juste, si évident qu’aucun Docteur de la Loi n’arrivait à le contredire. Personne, à ce moment-là, n’imaginait que cet homme, qui était peut-être le Messie, était Yahwé lui-même venu partager leur vie pour les délivrer du péché !

 

C’est alors que le travail d’élaboration progressive qui devait aboutir à la construction du christianisme est apparu avec toute sa complexité, liée au contexte culturel des trois premiers siècles.

 

Mais pourquoi sommes-nous si peu à oser franchir le pas, à rendre à Ieshoua son humanité, à le démythifier, à le dé-diviniser ? C’est ainsi que G. Sauvage a initié un réseau, intitulé  Jésus simplement , pour aider les uns et les autres à s’exprimer, à se poser les questions et à recueillir entre eux les éléments de réponse, dans un sens ou dans l’autre, librement[1]. A commencer par lui-même : “ ce Jésus, que j’aime de plus en plus simplement, est plus percutant pour ma vie quotidienne et même plus authentiquement “ divin ” que lorsque je croyais qu’il était Dieu ” . Mais, précise-t-il, “ de l’avoir fréquenté si longtemps, ce Jésus, en croyant qu’il était Dieu, m’a déjà familiarisé avec lui ; sinon, je ne l’aurais pas connu ”[2].

 

“ Auparavant, la beauté et la cohérence de la grande tradition “ christienne ” (comme le dit Jean Jacob) me faisait dire : “ Si Jésus n’était pas “ Dieu ”, il ne serait plus rien pour moi ; Jésus étant Dieu venu partager notre déchéance pour nous faire partager sa gloire : la Kénose ”. Le “ Jésus ” de M. Légaut, entrevu entre les lignes de ses ouvrages, m’a fait abandonner le Jésus de la Tradition, qui s’est spontanément effondré, sans crise et sans argumentation, alors que je l’avais exploré de 1953 à 1988 et que je m’étais mis en années sabbatiques pour poursuivre mon exploration. C’est mon originalité ” [3]

 

Ce Jésus “ plus attrayant qu’un autre ” appelait, en un second temps, une argumentation historique, philosophique, théologique…

 

Comme l’écrit encore G. Sauvage, “ je n’inscris plus ma vie comme celle d’un homme congénitalement pécheur dans une humanité naufragée, dans un mouvement de Salut universel en Jésus-Christ. J’inscris mon devenir humain d’homme inachevé dans une humanité en quête d’un accomplissement authentique, et Jésus représente pour moi un type d’homme particulièrement accompli sur des points fondamentaux pour moi :

 

-          la justesse et la pureté de sa relation à “ Dieu ”,

-          son estime inconditionnelle pour l’être humain,

-          sa lucidité sur le caractère oppressif, aliénant de la religiosité inculquée à son peuple,

-          son courage pour entreprendre avec quelques hommes et quelques femmes proches de lui une action de grande envergure,

-          enfin sa sagesse profonde telle qu’elle se dégage des Béatitudes, du Sermon sur la Montagne, de ses réactions spontanées et de ses actions symboliques, de son refus de prendre le pouvoir ”.[4]

 

La foi de G. Sauvage - et de bien d’autres hommes et femmes avec lui - au dieu que cherchait et que révélait le rabbi Ieshoua “n’en devient que plus vive, plus aiguisée, plus brûlante même ”.

 

Selon G. Sauvage[5], trois traits caractérisent l’accomplissement de Jésus :

-          Ieshoua a cru en lui-même. Il a laissé vivre ce qu’il portait au plus profond de lui. Il l’a partagé. Il a cru à son dieu tel qu’il se le représentait, aux morceaux choisis de la Torah qu’il a privilégiés au détriment des autres. Il a tenu compte de son ressenti intérieur, de ses interprétations de la vie.

-          Comme il croyait dans celles et ceux qu’il côtoyait, Ieshoua les a amenés à croire chacun en soi-même. “ Homme de peu de foi ”, “ ta foi ta sauvé ”, ces expressions évoquent le croire en soi, la confiance en soi, “ la foi des tripes ”. Jésus formait des compagnons ; il les initiait à ce qu’il découvrait ; il leur expliquait les paraboles qu’il utilisait volontiers.

-           Ieshoua était inséré dans une société et dans une institution humaine, mais il restait libre. Il faisait partie du judaïsme. Il connaissait et se positionnait par rapport au judaïsme des scribes, celui des pharisiens, celui des esséniens, celui des zélotes. Il fréquentait la synagogue, la maison pour tous de son époque, mais utilisait aussi d’autres lieux pour parler et pour agir. Il prenait ses distances avec l’institution : “ On vous a dit…, moi je vous dis… ”. Il citait peu les Ecritures (on les lui a fait citer par la suite pour montrer qu’il était le messie).

 

Ainsi, le message central de Ieshoua est l’appel à chacun à devenir soi, à laisser “ Dieu ” devenir en soi, comme Jésus l’a vécu en invitant ses contemporains à le vivre avec lui. “ Devenir soi - Rechercher le sens de sa propre vie ” selon le titre d’un livre de Marcel Légaut[6] est la tâche la plus fondamentale et la plus spirituelle de l’être humain.

 

Georges Sauvage aime beaucoup ce passage de Marcel Légaut[7], où la foi chrétienne est comparée à un écrin et Jésus à une perle : “ L’écrin permet de conserver la perle pour les temps plus heureux où l’on saura estimer la perle et la dégager de l’écrin… Mais quels longs délais ne faudra-t-il pas pour qu’on vienne à préférer la perle à l’écrin et à ne pas faire jouer inconsciemment à l’écrin le rôle d’écran qui cache la perle ! ”

 

A travers ces lignes, il a découvert “ un Ieshoua incompatible avec le messie des Juifs, avec le Christ cosmique de Paul et avec le Fils Unique Incarné de l’Eglise ”. Ce qui l’intéresse maintenant, dans la fidélité à lui-même, c’est de vivre en compagnonnage intérieur avec Jésus devenu pour lui Ieshoua, à partir de sa singularité naturelle, “ dans le contexte d’un hameau de montagne et de la région dioise, sans aucun rôle officiel, en participant à la base à la vie de quelques associations à visée locale, nationale et internationale ”[8]. Il ne souhaite pas se mettre en avant ; il a même pris du recul par rapport au réseau “ Jésus simplement ”, et j’ai eu du mal à obtenir en 2003 que son nom et son expérience soient cités dans ce document !  

Etienne Godinot



[1] Lettre de G. Sauvage à E. Godinot, 21 novembre 2001.

[2] Jésus simplement, n° 7 du 20 novembre 1996.

[3] Lettre de G. Sauvage à E. Godinot le 8 novembre 2001.

[4] G. Sauvage, Jésus simplement, n° 9 du 15 février 1997.

[5] Entretien d’E. Godinot avec Georges Sauvage le 10 novembre 2001.

[6] Marcel Légaut - Devenir soi – Rechercher le sens de sa propre vie, Ed. du Cerf, 2001.

[7] Marcel Légaut – Méditation d’un chrétien du XXème siècle, Ed. Aubier, 1983, p. 84.

[8] Lettre de G. Sauvage à E. Godinot du 8 janvier 2002.

 


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@2006 JS "Jésus simplement" mise à jour le 11/04/2006