Georges Sauvage

Travail de la foi          

Février et août 95 

ou : bilan de 10 années vécues en "ermitage".

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Ma foi était simple, heureuse, motivante, tonique, intério­risée, conscientisée, opérationnelle tous terrains, garantie par les théo­logiens les plus solides, les plus ouverts, les plus spirituels, quoique...

Quoique...

Pour moi, il ne s'agissait pas d'abord de me rallier à une doctrine, une théorie, une Organisation, mais de laisser se répercuter dans ma vie l'Événement unique, incroyable, incontournable, déterminant pour tou­te l'humanité: Noël, l'Incarnation du Fils de Dieu aboutissant à Pâques: la glorification du fils de l'homme et, à partir de lui, de toute l'humanité.

Ce n'était pas rien! ça n'allait pas de soi ! ça ne pouvait pas être banal, et je rêvais d'entraîner le plus grand nombre possible à en prendre conscience.

François d'Assise m'avait plu: lui, il avait osé y croire, "sans glose", sans arrangement et sans mesure à l'aune de la sagesse normale.

J'ai eu souvent le sentiment d'être seul à y croire à ce point; même mes compagnons les plus proches ne me semblaient pas percutés par l'ampleur et le contenu de l'Événement: je l'exprimais ainsi:

Noël: l'un des Trois devient l'un de nous;. Pâque     l'un de nous devient 'L'un des Trois, ouvrant à toute l'humanité l'accès au Divin.

J'étais heureux de ma trouvaille ! Mais j'en recevais bien peu d'échos. A 64 ans, en 1984, quittant la prison de Fleury-Mérogis, m'oc­troyant 20 ans d'espérance de vie, je décidai de me consacrer entièrement à explorer " la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur " du. Mystère. (Eph.III,18)  

Tout un travail à entreprendre, à laisser se faire en moi, sans être distrait par les "urgences" du ministère ni dilué par la multipli­cité des centres d'intérêt immédiats.

Pendant ces cinq années, j'ai côtoyé pas mal de personnes, mariées ou non, croyantes ou non, qui consacraient du temps et de l'argent à un travail d'approfondissement sur elles-mêmes pour mettre au clair leurs motivations, remettre à jour le sens de leur existence et leurs relations avec leurs divers partenaires.

Travail spirituel, travail de la foi: de la foi en soi, de la foi en l'autre, de la foi en "Dieu"; travail tout à fait différent par son objectif et ses méthodes des travaux proposés par les instances ecclésiales.

J'étais loin de me douter des mutations que j'allais vivre, mais je suis très heureux d'en avoir pris le risque.

1/ Ma rencontre avec Marcel Légaut.

C'est en octobre 1986, au début de ma 3è année sabbatique, exerçant la fonction de concierge dans un petit immeuble à 30 km . de, Paris, que je fais connaissance avec l'oeuvre de Marcel Légaut. J'y retrouve avec étonnement ce qui a mûri en moi grâce à 12 années de dialogues avec les Dé­tenus de Fleury-Mérogis. Je pars vivre en ermitage dans la Drôme en Juillet 1989 afin de bénéficier d'une plus grande proximité avec l'auteur de: "L'homme à la recherche de son humanité."

Comme Légaut, mais inconsciemment, je me mets à relire le parcours de Jésus à partir de mon propre parcours et inversement.

Foi en moi (non pas confiance en moi), fidélité à celui que je suis, conscience de ma singularité, de mon unicité, liberté profonde, in­tériorité, créativité, subjectivité consciente succèdent à adhésion disci­plinée à un credo imposé sous peine de "péché mortel" et d'enfer éternel, à fidélité à une interprétation des Écritures déclarée seule authentique, et à un ordonnancements de la grâce divine strictement balisé.

En fait (pour éviter la caricature), j'avais vécu cela avec un grand bonheur: médusé, quand j'étais encore tout petit, par le Mystère

de l'Incarnation: la Crèche, le Tabernacle, la Croix, en même temps que ter­rorisé par la menace de l'Enfer; c'était trop beau pour ne pas être vrai, incroyablement beau.

Pendant mes études théologiques, mon enthousiasme s'était é­toffé: le Fils Unique de Dieu s'est fait homme pour que nous, fils des hom­mes, nous puissions devenir fils de Dieu ! Et Teilhard !

Enfin, de 1953 à 1987, à partir de la remise en valeur de la célébration de la Nuit Pascal et de l'importance restituée au Mystère Pascal dans l'épopée de l'Incarnation, toute ma vie personnelle et mes activités pastorales ont été illuminées par l'évènement clé de la Résurrection. L'ou­vrage du P. Durxwell, rédemptoriste, sur "Le Mystère de la Résurrection", m'a beaucoup aidé, en 1953, alors que je vivais un limogeage éprouvant: j'é­tais en situation !

Maintenant, ma fidélité s'exprime tout autrement, en m'ins­pirant de la démarche de Marcel Légaut et donc de mon propre parcours:

Jésus, dès son enfance, grâce à Marie en particulier, a été saisi par la splendeur de certains messages des Prophètes de l'Alliance et s'est senti en communion mystérieuse avec le Dieu d'Israël qui s'adresse au coeur de l'homme, à son coeur profond, comme un père avec son enfant.

Ces messages et cette Présence s'établissent en lui; il voit les gens et les choses de la vie dans cette lumière; la mentalité des zéla­teurs de la Loi et la qualité des commentaires des Écritures qu'il entend à la synagogue de Nazareth au fur et à mesure qu'il devient un homme lui sem­blent tout-à-fàit en dessous sinon en contradiction par rapport au Message qui le travaille et à la Présence qui l'habite; même la prédication de son cousin Jean par qui il se fait baptiser dans le Jourdain le laisse sur sa faim: comme c'est loin de la simplicité, de la force d'illumination et de libération dont ses compatriotes ont tant besoin!

Après un séjour au désert long et tourmenté il se décide: il va mener la vie d'un Rabbi itinérant, afin de rencontrer un maximum de compatriotes, il va se faire aider par quelques compagnons; il a déjà quelques noms en tête, car il connaît beaucoup de monde, à partir de son atelier, et il a déjà perçu quelque chose de leur coeur profond. Et c'est parti!

Ça va durer 3 ans: ce que Jésus porte en lui - ce message et cette Présence -, ce que ceux qu'il rencontre portent en eux, tout cela se met en mouvement, s'interactive ; pour les uns c'est grande joie, pour d'autres ça coince terriblement et c'est le trouble, pour d'autres encore, surtout les chefs religieux, c'est la colère et l'indignation.

De jour en jour, Jésus va répondre aux appels et aux exigen­ces des rencontres, des dialogues, des discussions, des mises en demeure, des situations scabreuses; parfois même il va devoir fuir, se cacher pour échapper à ses ennemis ou à ses faux amis. Grandes joies et grandes souf­frances; heureuses surprises et cruels désappointements.

De jour en jour Jésus va devenir celui qu'il est appelé à de­venir; il travaille sans programme et sans filet; mais il n'est pas seul: " mon Père agit, et moi aussi j'agis"; travaillé par la Présence active de son Père et par tant de présences humaines, Jésus improvise jour par jour son accomplissement; il va mourir misérablement en disant:" Tout est accom­pli! " (Jean XIX, 30)

C'est en ce Jésus-là que je crois à présent, avec autant d'é­blouissement et de provocation à vivre ce que j'ai à vivre qu'au temps de ma première inspiration.

2/ Ma rencontre avec Eugen Drewermann

J'achète " La Parole qui guérit ", par hasard, en octobre 91, au retour d'un Chapitre des Capucins francophones à Francheville, dans une librairie de Valence; je n'avais jamais entendu parler de Drewermann. En 94, l 'un de ses traducteurs, Eugène Wéber, ami de Légaut, me dira que c'est le livre à lire de préférence aux autres du même auteur.

Ce que j'en retiens: la Bible est une mine, un gisement iné­puisable de messages dont l'intérêt n'est pas de donner naissance à une doc­trine cohérente et " objective " mais de rassembler des témoignages de va­leur suffisamment universelle pour que tout être humain puisse y trouver un écho à ses propres questions.

Je prends acte de l'importance prééminente du langage symbolique.

Du coup, les études historico-critiques sur les textes de la Bible et le souci du sens " objectif " passent au second plan, tout en gar­dant beaucoup d'intérêt. Je suis d'ailleurs étonné et même révolté de cons­tater que le Vatican tient l'ensemble des Chrétiens ignorants des résultats acquis en ce domaine, sous prétexte de ne pas troubler la foi des communau­tés chrétiennes. Cette censure inavouée me semble malhonnête. La masse des paroissiens est culturellement "demeurée" au plan de la recherche.

Enfin, la notion d'inspiration et de révélation serait à la fois à préciser et à élargir considérablement: les Textes Sacrés des autres religions et bien d'autres écrits, même profanes, ainsi que nombre de paro­les, gestes et comportements portent la marque de l'inspiration. " L'Esprit du Seigneur remplit tout l'Univers ", chantons-nous dans nos églises.

 

3/ Rencontre avec Placide Gaboury, canadien: novembre 1991

" L' Homme qui commence ": livre trouvé, toujours par hasard, à l'occasion de la rencontre ratée, à Paris, de la Commission capucine du 'Monde de la. Pensée"

Je note en pesant que, l'événement de "l'Incarnation" ayant cessé pour moi d'être incontournable, je suis devenu plus disponible à tout message venu de la vie.

Ce que je retiens de " L'Homme qui commence ":

1: Ouverture sur la Physique Quantique, celle d'Einstein, d'Hubert Reeves et de tous les physiciens et astro-physiciens modernes, celle du Big-Bang, du Cosmos des ondes et des particules, induisant une autre conception de l'homme, de l'origine et de la consistance du cosmos et invitant à d'autres représentations du Réel ultime, de la Transcendance, du Divin, de " Dieu ".

2: Ouverture sur les Spirituels des autres religions, des autres civilisations, de notre monde contemporain; sur les spiritualités profanes, séculières, voire liées à une autre approche de la Matière douée d'esprit, de conscience...

Je me prends souvent à penser: on peut être spirituel sans être croyant; on peut être croyant sans être spirituel.

Simple mention de Graff Durckeim dont le message, mettant les perspectives et les méthodes orientales à la portée des Occidentaux, m'a initié à l'Éveil grâce à mes amis du Groupe "Franciscains et Socialisme."

5/ Initiation à la Sophrologie: Sept. 92 - Juillet 94

Septembre 1992, un article de Témoignage Chrétien me donne envie de lire "La conquête de la Conscience" du Dr. Yves Davrou et de Jean Godard.

Sophrologie = traitement de l'harmonie de l'esprit.

Conscience '(au sens de "prise de conscience") _ capacité de captation et d'intégration des réalités et de la Réalité; éveil, conscience éveillée, conscientisation, ça cou­sine assez bien.

La conscientisation d'un être humain aux réalités de la vie n'est pas nécessairement intellectuelle, loin de là ! la sensorialité, la sensibilité, l'émotivité, l'intuition sont des éléments très actifs dans nos prises de conscience.

En plus, notre conscience des réalités est progressi­ve, évolutive, tout au long de notre vie; nous pouvons la for­tifier, l'intensifier, la développer, et c'est l'objectif de la sophrologie qui vise à nous rendre plus conscients, donc plus autonomes et plus authentiques (moins conditionnés).         '

Ma vie en est toute transformée. Jusqu'ici je lis, je lis, je lis; ma recherche, mon exploration est surtout intellec­tuelle, même s'il s'agit de lire des témoignages plus que des théories.

Maintenant je mets mon corps à contribution, je me laisse sentir, ressentir, émouvoir, intuitionner; bien plus, grâce à un exercice d' "éveil paradoxal", qui n'a rien de sor­cier, j'ai accès à un langage symbolique très révélateur.

Cela ne supprime pas l'intellectualité mais la situe et lui fournit une alimentation déjà élaborée par les' autres instances déjà citées.

Cela représente pour moi un pas considérable dans

mon processus d'humanisation; des verrous sautent, qui m'empê­chaient de voir, d'entendre, de sentir, de palper, de goûter, de me laisser émouvoir, de prêter attention à des intuitions. La fin d'une véritable mutilation, d'une atrophie considérable,

6/ Michel Fromaget, universitaire: l' anthropologie ternaire

Lu en 1993: " Corps Ame Esprit ". Introduction à l'anthropologie ternaire.

M. Fromaget a participé au Congrès de Sophrologie de Royan en juin 1992. Sa con­tribution répond aux questions que son livre avait soulevées en moi.

Son livre: " Corps Aine Esprit ". Il s'agit d'anthropologie fondamentale. Fromaget dénonce la mutilation fondamentale et anti-scientifique de l'anthropologie depuis Descartes entraînant une carence fondamentale dans les Sciences Humaines et, par voie de conséquence, dans les structures mentales de la civilisation moderne. Si l'Eglise Orthodoxe a échappé à cette dérive, l'Église Catholique romaine en a été considérablement marquée: l'effacement de l'esprit de l'homme n'avantage pas la communion à l'Esprit divin ( ou à l'Un, à l' Être ).

L'homme corps-âme-esprit, c'est l'anthropologie ternaire présente dans tous les écrits des mystiques et de tous les spirituels de toutes les religions et civilisations et que Descartes a biffées d'un trait de plume sans aucune explication ni démonstration, réduisant l'être humain à être corps et âme, physique et psychique.

Me voici conscientisé intellectuellement; reste à le devenir vitalement: j'étais comme le pilote d'un bateau à voile qui ignore l'existence de la voile de son navire; bien sûr, le vent soufflait quand même, mais quelle situation absurde, quelle dysharmonie foncière 1

Deux éléments retenus : la relation entre corps-âme-esprit et terre-lune-soleil. Le Cantique du Soleil de François d'Assise, ça veut dire quelque chose; il me faudra relire le superbe "Cantique des Créatures" d' EIoi Leclerc; ceci également: l'amour, l' agape, c'est sur­tout: favoriser l'accomplissement de l'autre.

Me voici invité à une motion., , à" une réorientation profonde de l'être, fai­sant que ses actes, allant maintenant dans le sens de la Création, n'ont plus à lutter contre les forces gouvernant l'Univers et sont au contraire portés par elles " Congrès Sophro Royan 92 'Us assises de la conscience ", p.22

  retrouve également Légaut qui découvre la Présence de Il Dieu Il à partir de "ces actes qui sont de moi, qui ne sont pas que de moi et qui ne pourraient être sans moi".

7/ Ici et maintenant.

me situe avec une espérance de vie d'une dizaine d'années, tout en sachant que j e peux mourir aujourd'hui même.

• crois en moi; je ne suis que ce que je suis, dérisoire et éphémère et pour­tant unique, ferment d'humanité, appelé à un accomplissement maximal de mes potentialités au bénéfice des autres par ma qualité d'être, par simple fidélité à ce que j e suis en répondant aux appels et aux exigences de la vie.

• suis passionné, sans angoisse, par le sens de la vie, par tous les au-delâ de la vie quotidienne et de la mort, intéressé par tous les messages, tous les témoignages; non pas agnostique, mais conscient de mon faible taux de ccnscientiation au Réel et, selon l'expression du journaliste Roger Stéphane, "ouvert à toute surprise".

J'accepte de ne pas pouvoir identifier " Dieu ", l' Inconnaissable, le Sans­Nom. Je souhaite passer d'une recherche intellectuellement intensive à une recherche vraiment spirituelle en menant une vie ordinaire où la convivialité, la participation à des activités et même des actions collectives, quelques travaux de plein air et des randonnées en montagne correspondent à un érémitisme plus authentique et plus discret que celui d'une grotte.

Jésus est la lumière de ma vie.                              Georges le  5.08.95


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@2006 JS "Jésus simplement" mise à jour le 12/06/2006