Georges Sauvage

"La grande tradition chrétienne"

JS 8  15/01/97 , p. 3-5   

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Combien de Chrétiens ont-ils eu l'occasion, au-delà du catéchisme et des prédications dominicales, d'entrer dans l'intelligence du Mystère du Christ, tel que la Grande Tradition Chrétienne l'a élaboré au cours des premiers siècles, sous la mouvance de l'Esprit, à partir des univers mentaux riches et foisonnants en ces temps-là: il s'agissait d'essayer de rendre compte du témoignage impressionnant et inclassable de Jésus de Nazareth; ainsi était née l'épopée de l'Incarnation du Fils Unique de Dieu résumée en ces deux textes:

Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle. (Jean 3,16)

Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes.

S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom,pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame de Jésus Christ qu'il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. (Phil. 2, 6-11)

"Prenant condition d'esclave", celle de tous les humains: Dieu après avoir créé l'Univers avait créé le premier couple humain dans un état de parfaite sainteté pour gérer cet Univers avec lui. Le premier couple a trahi, plongeant toute sa descendance dans la déchéance et y entraînant toute la Création. Des générations et des générations après, Dieu, Dieu, à partir d'un homme, Abraham, et de sa tribu, se constitue un Peuple qui sera pour tous les Peuples de la Terre le témoin de sa miséricorde.

Jésus vient porter à son accomplissement une longue histoire de près de 20 siècles; c'est lui le Christ, le Messie, l'Oint annoncé par les Prophètes; il n'est rien moins que le Fils Unique de Dieu venu partager notre déchéance pour nous faire partager sa Gloire, nous rendre fils adoptifs en devenant notre frère de misère; cette épopée de l'Incarnation ne se termine sur la croix mais par l'exaltation suprême, au jour de l'Ascension de Celui qui devient ainsi "Seigneur et Christ" (Act.2,36), dernier Adam" (1 Cor.15,45),Sauveur de son Peuple, de l'Humanité et même de l'Univers.

Bien que nous appartenions désormais à un monde sauvé, nous continuons à naître avec le "péché originel" que nous confirmons chaque jour par nos péchés personnels. A nous de nous approprier la grâce qui nous est acquise "en Jésus-Christ", par notre foi en Lui, par une conduite évangélique et par le recours aux sacrements; Jésus, après sa Résurrection, a transmis sa mission et ses pouvoirs à ses Apôtres et à leurs successeurs, les Evêques qui eux-mêmes les transmettent à leurs auxiliaires: les prêtres...

C'EST JESUS DE NAZARETH, IRRADIE D'ESPRIT SAINT AU SEIN LA TRINITE, QUI EST DESORMAIS LA SOURCE DE VIE DIVINE POUR L'HUMANITE ET TOUT LE COSMOS. D'OU L'IMPORTANCE DE L'EGLISE ET TOUT PARTICULIEREMENT EVEQUES ET DES PRETRES PARTICIPANT PAR UNE CONSECRATION SPECIALE AU POUVOIR VIS PAR JESUS RESSUSCITE. PAR LUI, AVEC LUI ET EN LUI, A TOI, DIEU LE PERE TOUT PUISSANT, DANS L'UNITE DU SAINT ESPRIT, TOUT HONNEUR ET TOUTE GLOIRE POUR SIECLES DES SIECLES.

Voici donc le Mystère de l'Incarnation, tel que je ne l'ai pas inventé mais plutôt inventorié avec enthousiasme de 1953 à 1983, Concile inclus, tout en travaillant au renouveau de la Pastorale dans les diocèses de France (1953-72) ou en accompagnant les Détenus de Fleury-Mérogis (Sept.72 - Sept.84). La remise en importance du Mystère Pascal m'a beaucoup stimulé. Mais pour moi l'Incarnation du Fils de Dieu n'était pas une théorie, base d'une Christologie grandiose et totalisante, mais l'Evènement-clé, historiquement daté, incontournable, de toute l'Histoire humaine et même cosmique. Voir Teilhard de Chardin. Tout mon ministère en a été illuminé, et j'ai choisi, en 1984, à 64 ans, de vivre en ermitage pour explorer "la Longueur, la Hauteur et la Profondeur" du Mystère du Christ. (Eph.3,18)

Marcel Légaut existe, je l'ai rencontré.

J'ai fait connaissance avec Marcel Légaut, en octobre 1986, à l'occasion d'une émission du Jour du Seigneur, puis en 1987 aux Granges avant de quitter définitivement la région parisienne pour me rapprocher de lui en juillet 1989. J1ai participé à une dernière rencontre avec lui à Mirmande, en Octobre 90, un mois avant sa mort. J'avais trouvé en lui une correspondance étonnante avec ce qui se cherchait en moi.

C'est ainsi que, sans crise, sans arguments, en entrant dans sa démarche spirituelle, j'ai été amené à croire en Jésus de façon toute différente, tout aussi lumineuse. Je vous renvoie à l'article signé Jean Taravel dans le n°1 de Jésus simplement.

Les rationalités d'une telle mutation ne se sont développées qu'après coup, par une nouvelle mise en harmonie vitale - Légaut comparait l'interprétation des Ecritures à celle d'une partition musicale, chaque interprète étant un créateur - Tout un système d'auto-défenses et d'auto-censures s'effondrait; je devenais capable d'entendre des témoignages, de lire des commentaires, d'accepter des informations, de découvrir des harmoniques que je refusais auparavant par fidélité à mes engagements, à la foi de mon baptême.

Je ne reniais pas mon passé, je ne regrettais pas ce que j'avais vécu avec tant de bonheur, je n'avais le sentiment ni de m'être trompé ni d'avoir été trompé, mais celui d'être "introduit dans l'intelligence du passé et de l'avenir du christianisme". Ouvrier de la 11ème heure, libre de tout mon temps et de tout mon être, j'allais pouvoir bénéficier du "travail de la foi" de cet homme qui avait patiemment et passionnément poursuivi sa recherche.

Quand je le rejoins en 1989, Légaut mobilise beaucoup d'énergie pour écrire avec Thérèse de Scott, en alternance, 5 chapitre de l'un, 5ème de l'une, un livre d'une vigueur pathétique:"VIE SPIRITUELLE ET MODERNITE" Livre rendu plus passionnant par l'alternance qui donne à chaque auteur la possibilité de développer son expression propre; Thérèse reprend à son compte beaucoup des questions que nous posions lors de nos rencontres avec Légaut. Le chapitre 8, écrit par Légaut: "Vie de foi et représentations de la foi", est signalé comme particulièrement important. En tout cas, il m'éclaire et me stimule très fort dans ce que je suis en train de vivre.

Deux points importants pour moi:

Les univers mentaux, singuliers ou collectifs, vecteurs obligés de l'Inspiration

J'ai pris conscience que les Evangiles, témoignages d'une incomparable valeur, sont déjà une interprétation du témoignage de ce Jésus dont la mentalité avait si fortement impressionné ses contemporains; interprétation à partir des Ecritures qui annonçaient au Peuple d'Israël la venue d'un Messie; interprétation marquée aussi par la christologie de Paul antérieure à la rédaction définitive des Evangiles.

Ce Paul était un homme d'une envergure exceptionnelle:

il avait respiré à Tarse, sa ville natale, une culture helléniste en plein essor avant de fréquenter les cours du célèbre rabbin Gamaliel à Jérusalem; courageux, passionné, il s'était mis à pourchasser ceux qui se rassemblaient au nom de Jésus, son aîné de 10 ans, qu'il n'avait jamais rencontré. Conversion foudroyante, fruit sans doute d'un long combat intérieur inconscient ou inavoué; ardent travail de la foi à partir d'un univers mental tout différent de celui des disciples immédiats de Jésus. Toute une christologie se développe en lui.

Cette christologie va se préciser, s'enrichir, se complexifier, s'affiner, s'alourdir aussi peut-être au cours des générations successives à travers des univers mentaux multiples sans être radicalement contradictoires, sous le contrôle vigilant du Magistère ecclésiastique; elle nous a pénétrés de mille façons: catéchisme, prédications, célébrations liturgiques, art sacré: églises, cathédrales, peintures, sculptures, musique, chant grégorien, cantiques chants polyphoniques, traductions et commentaires orientés des Ecritures, ferveur et fidélité des croyants etc...

Légaut, héritier fervent de cette Tradition, éveillé par l'expérience spirituelle et ecclésiale de l'abbé Portal, habité par l'exigence de rigueur et de liberté de la recherche scientifique, se met en situation radicale pour entrer dans l'intelligence de ce que fut et vécut Jésus quand il vivait parmi les siens. D'une certaine façon il repart à zéro, à partir de ce qu'il vit lui-même, dans cet univers mental contemporain en rupture radicale avec le passé. Le Concile (oct. 62-déc. 65) n'est pas allé assez loin ni surtout assez profond. La MODERNITE, l'univers mental contemporain, n'a pas été prise en compte, alors qu'elle est le vecteur obligé de l'expression du Divin.

Second point déterminant pour moi: "l'originalité foncière du mouvement de foi".

Je crois ce que j e crois et non ce à croire, c'est évident. Sinon c'est de la logomachie ou de l'embrigadement,, même si j'interprète le credo génialement en me l'appropriant comme je l'ai fait, modestie mise à part. Si j'ai adopté l'interprétation de Légaut sur la vie de Jésus comme expérience d'accomplissement humain en conjonction intime avec l'Action divine en lui, c'est que je m'y retrouvais mieux, en regardant mon passé de 7 décades,-que dans l'impact du Mystère grandiose de l'Incarnation. Un mouvement de foi procédant de l'intériorité, plutôt qu'une adhésion de principe à une confession de foi proposée de l'extérieur, c'est ce que Jésus a vécu, c'est ce qui donnait à sa mentalité, ses paroles et ses comportements un tel impact sur les hommes et les femmes qu'il rencontrait et provoquait un tel décalage avec les façons courantes d'agir et de réagir. C'est ainsi que Jésus était "de Dieu", souverainement, radicalement, sans pour autant être Dieu, bien sûr !

 

Et moi aussi je suis "de Dieu", piteusement il est vrai, mais je me sens invité à le devenir royalement, détectant dans mon passé une singularité que j'aime et y discernant comme des cadeaux qui me viennent d'ailleurs. Jésus est ma référence, sans exclusive; hier après-midi, après un coup dur, c'était plutôt le courage des deux navigateurs en détresse sur

Georges SAUVAGE  

 


 

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