Combien de Chrétiens ont-ils eu l'occasion, au-delà du catéchisme
et des prédications dominicales, d'entrer dans l'intelligence du Mystère
du Christ, tel que la Grande Tradition Chrétienne l'a élaboré au
cours des premiers siècles, sous la mouvance de l'Esprit, à partir des
univers mentaux riches et foisonnants en ces temps-là: il s'agissait
d'essayer de rendre compte du témoignage impressionnant et inclassable
de Jésus de Nazareth; ainsi était née l'épopée de l'Incarnation du
Fils Unique de Dieu résumée en ces deux textes:
Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie
éternelle. (Jean 3,16)
Lui, de condition divine, ne
retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il
s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant
semblable aux hommes.
S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore,
obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! Aussi Dieu
l'a-t-il exalté et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout
nom,pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille au
plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute
langue proclame de Jésus Christ qu'il est Seigneur,
à la gloire de Dieu le Père. (Phil. 2, 6-11)
"Prenant condition d'esclave", celle de tous les humains:
Dieu après avoir créé l'Univers avait créé le premier couple humain
dans un état de parfaite sainteté pour gérer cet Univers avec lui. Le
premier couple a trahi, plongeant toute sa descendance
dans la déchéance et y entraînant toute la Création.
Des générations et des générations après, Dieu, Dieu, à partir
d'un homme, Abraham, et de sa tribu, se constitue un Peuple qui sera
pour tous les Peuples de la Terre le témoin de sa miséricorde.
Jésus vient porter à son accomplissement une
longue histoire de près de 20 siècles; c'est lui le Christ, le Messie,
l'Oint annoncé par les Prophètes; il n'est rien moins que le Fils
Unique de Dieu venu partager notre déchéance
pour nous faire partager sa Gloire, nous rendre fils adoptifs en devenant
notre frère de misère; cette épopée de l'Incarnation
ne se termine sur la croix mais par l'exaltation suprême, au jour de
l'Ascension de Celui qui devient
ainsi "Seigneur et Christ" (Act.2,36), dernier Adam" (1
Cor.15,45),Sauveur de son Peuple, de l'Humanité et même de l'Univers.
Bien que nous appartenions désormais à un monde
sauvé, nous continuons à naître avec le "péché originel"
que nous confirmons chaque jour par nos péchés personnels. A nous de
nous approprier la grâce qui nous est acquise "en
Jésus-Christ", par notre foi en Lui, par une conduite évangélique
et par le recours aux sacrements;
Jésus, après sa Résurrection, a transmis sa mission et ses
pouvoirs à ses Apôtres et à leurs successeurs, les Evêques
qui eux-mêmes les transmettent
à leurs auxiliaires: les prêtres...
C'EST JESUS DE NAZARETH, IRRADIE D'ESPRIT SAINT AU SEIN
LA TRINITE, QUI EST DESORMAIS LA SOURCE DE VIE DIVINE POUR L'HUMANITE ET
TOUT LE COSMOS. D'OU L'IMPORTANCE DE
L'EGLISE ET TOUT PARTICULIEREMENT EVEQUES
ET DES PRETRES PARTICIPANT PAR UNE CONSECRATION SPECIALE AU POUVOIR VIS
PAR JESUS RESSUSCITE. PAR LUI, AVEC LUI ET EN LUI, A TOI, DIEU LE PERE
TOUT PUISSANT, DANS L'UNITE DU SAINT ESPRIT, TOUT HONNEUR ET TOUTE
GLOIRE POUR SIECLES DES SIECLES.
Voici donc le Mystère de l'Incarnation, tel
que je ne l'ai pas inventé mais plutôt inventorié avec enthousiasme
de 1953 à 1983, Concile inclus, tout en travaillant au
renouveau de la Pastorale dans les diocèses de France (1953-72) ou en
accompagnant les Détenus de Fleury-Mérogis (Sept.72 - Sept.84). La
remise en importance du Mystère Pascal m'a beaucoup stimulé.
Mais pour moi l'Incarnation du Fils de Dieu n'était pas une théorie,
base d'une Christologie grandiose et totalisante, mais l'Evènement-clé,
historiquement daté, incontournable, de toute l'Histoire humaine et
même cosmique. Voir Teilhard de Chardin. Tout mon ministère en a été
illuminé, et j'ai choisi, en 1984, à
64 ans, de vivre en ermitage pour
explorer "la Longueur, la Hauteur et la Profondeur" du
Mystère du Christ. (Eph.3,18)
Marcel Légaut existe, je l'ai rencontré.
J'ai fait connaissance avec Marcel Légaut, en
octobre 1986, à l'occasion d'une émission du Jour du Seigneur, puis en
1987 aux Granges avant de quitter définitivement la région parisienne
pour me rapprocher de lui en juillet 1989. J1ai participé à
une dernière rencontre avec lui à Mirmande, en Octobre 90, un mois
avant sa mort. J'avais trouvé en lui une correspondance étonnante
avec ce qui se cherchait en moi.
C'est ainsi que, sans crise, sans arguments, en
entrant dans sa démarche spirituelle, j'ai été amené à croire en
Jésus de façon toute différente, tout aussi lumineuse. Je vous
renvoie à l'article signé Jean Taravel dans le n°1 de Jésus
simplement.
Les rationalités
d'une telle mutation
ne se sont développées qu'après coup, par une nouvelle mise en
harmonie vitale - Légaut comparait l'interprétation des Ecritures à
celle d'une partition musicale, chaque interprète étant un créateur -
Tout un système d'auto-défenses et d'auto-censures s'effondrait; je
devenais capable d'entendre des témoignages, de lire des commentaires,
d'accepter des informations, de découvrir des harmoniques que je
refusais auparavant par fidélité à mes engagements,
à la foi de mon baptême.
Je ne reniais pas mon passé, je ne regrettais pas ce
que j'avais vécu avec tant de bonheur, je n'avais le sentiment ni de m'être trompé ni d'avoir été
trompé, mais celui d'être "introduit
dans l'intelligence du passé et de l'avenir du
christianisme". Ouvrier de la 11ème heure, libre de tout
mon temps et de tout mon être, j'allais pouvoir bénéficier du
"travail de la foi" de cet homme qui avait patiemment et
passionnément poursuivi sa recherche.
Quand je le rejoins en 1989, Légaut mobilise beaucoup
d'énergie pour écrire avec Thérèse de Scott, en alternance, 5
chapitre de l'un, 5ème de
l'une, un livre d'une vigueur pathétique:"VIE SPIRITUELLE
ET MODERNITE" Livre rendu plus passionnant par
l'alternance qui donne à chaque auteur la possibilité de développer
son expression propre; Thérèse reprend à son compte beaucoup des
questions que nous posions lors de nos rencontres avec Légaut. Le
chapitre 8, écrit par Légaut: "Vie de foi et représentations de
la foi", est signalé comme particulièrement important. En tout
cas, il m'éclaire et me stimule très fort dans ce que je suis en train
de vivre.
Deux points importants pour moi:
Les univers mentaux, singuliers ou
collectifs, vecteurs obligés de l'Inspiration
J'ai pris conscience que les Evangiles, témoignages
d'une incomparable valeur, sont déjà une interprétation du
témoignage de ce Jésus dont la mentalité avait si fortement
impressionné ses contemporains; interprétation à partir des
Ecritures qui annonçaient au Peuple d'Israël la venue d'un Messie;
interprétation marquée aussi par la christologie de Paul
antérieure à la rédaction
définitive des Evangiles.
Ce Paul était un homme d'une envergure exceptionnelle:
il avait respiré à Tarse, sa ville natale, une
culture helléniste en plein essor avant de fréquenter les cours du
célèbre rabbin Gamaliel à Jérusalem; courageux, passionné, il
s'était mis à pourchasser ceux qui se rassemblaient au nom de Jésus,
son aîné de 10 ans, qu'il n'avait jamais rencontré. Conversion
foudroyante, fruit sans doute d'un long combat intérieur inconscient ou
inavoué; ardent travail de la foi à partir d'un univers mental
tout différent de celui des disciples immédiats de Jésus. Toute une
christologie se développe en lui.
Cette christologie va se préciser, s'enrichir,
se complexifier, s'affiner, s'alourdir aussi peut-être au cours des
générations successives à travers des univers mentaux multiples sans
être radicalement contradictoires, sous le contrôle vigilant du
Magistère ecclésiastique; elle nous a pénétrés
de mille façons: catéchisme, prédications, célébrations
liturgiques, art sacré: églises, cathédrales, peintures, sculptures,
musique, chant grégorien, cantiques chants polyphoniques, traductions et
commentaires orientés des Ecritures, ferveur et fidélité des croyants
etc...
Légaut,
héritier fervent de cette Tradition,
éveillé par l'expérience spirituelle et ecclésiale de l'abbé
Portal, habité par l'exigence de rigueur et de liberté de la
recherche scientifique, se met en situation radicale
pour entrer dans l'intelligence de ce que fut et vécut Jésus quand il vivait
parmi les siens. D'une certaine façon il repart à zéro, à partir
de ce qu'il vit lui-même, dans cet univers mental contemporain en
rupture radicale avec le passé. Le Concile (oct. 62-déc. 65) n'est pas
allé assez loin ni surtout assez profond. La MODERNITE, l'univers mental
contemporain, n'a pas été prise en compte, alors qu'elle est le vecteur
obligé de l'expression du Divin.
Second point déterminant pour
moi:
"l'originalité foncière du mouvement de foi".
Je crois ce que j e crois et non ce à
croire, c'est évident. Sinon c'est de la logomachie ou de
l'embrigadement,, même si j'interprète le credo génialement en me
l'appropriant comme je l'ai fait, modestie mise à part. Si j'ai adopté
l'interprétation de Légaut sur la vie de Jésus comme expérience
d'accomplissement humain en conjonction intime avec l'Action
divine en lui, c'est que je m'y retrouvais mieux, en regardant mon passé
de 7 décades,-que dans l'impact du Mystère grandiose de l'Incarnation. Un
mouvement de foi procédant de l'intériorité, plutôt qu'une
adhésion de principe à une confession de foi proposée de
l'extérieur, c'est ce que Jésus a vécu,
c'est ce qui donnait à sa mentalité, ses paroles et ses comportements un
tel impact sur les hommes et les femmes qu'il rencontrait et
provoquait un tel décalage avec les façons
courantes d'agir et de réagir. C'est ainsi que Jésus était "de
Dieu", souverainement, radicalement, sans pour autant être Dieu,
bien sûr !
Et moi aussi je suis "de Dieu", piteusement il est vrai, mais
je me sens invité à le devenir royalement, détectant dans mon passé
une singularité que j'aime et y discernant comme des cadeaux qui me
viennent d'ailleurs. Jésus est ma référence, sans exclusive; hier
après-midi, après un coup dur, c'était plutôt le courage des deux
navigateurs en détresse sur
Georges SAUVAGE
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