Ernest Renan – 

"Vie de Jésus"

Arléa, fév. 1992 (diffusion Le Seuil) .

 

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Ernest Renan avait défriché le terrain …

 

Publié pour la première fois en I863, l’ouvrage “ Vie de Jésus ”[1] de l’historien, philologue et philosophe français Ernest Renan (1823-1892) rencontra dans toute l’Europe un succès considérable. Renonçant à toute démarche mystique ou fidéiste, Renan, ancien séminariste, se proposait de reconstituer avec autant d’exactitude que possible la vie et le caractère de l’homme Jésus tel qu’il vécut au début de notre ère en Palestine. Utilisant les évangiles comme des sources parmi d’autres, les soumettant à un minutieux travail de critique historique, élaguant du corpus testamentaire les adjonctions tardives et s’affranchissant bien sûr des dogmes, il écrivait ainsi la première “ biographie ”, au sens moderne du terme, de l’homme de Nazareth, dans le style excellent qui lui valut d’être élu à l’Académie française en I878.

 

En dépit de l’attirance et de l’admiration profonde que Renan manifeste envers le Nazaréen, sujet de sa recherche, cette “ Vie de Jésus ” fit scandale dans le monde catholique de l’époque et coûta à l’auteur sa chaire au Collège de France où, lors de sa leçon inaugurale d’hébreu en I862, il avait parlé de Jésus comme d’“ un homme incomparable ”. Il paraissait alors sacrilège qu’une démarche historique, quel que fût son sérieux, fût appliquée à ce qui procédait de la foi. Cet ouvrage était le premier volume d’une monumentale “ Histoire des origines du christianisme ” (1863-1881) qui suscita de vives polémiques et que compléta l’ “ Histoire du peuple d’Israël ” (1887-1893).

 

La démarche d’Ernest Renan est pourtant celle d’un homme profondément religieux : “ L’homme, dès qu’il se distingua de l’animal, fut religieux, c’est à dire qu’il vit dans la nature quelque chose au delà de la réalité, et pour lui-même quelque chose au delà de la mort ” (p.55).  “ Jamais on n’a été moins prêtre que ne le fut Jésus, jamais plus ennemi des formes qui étouffent la religion sous prétexte de la protéger (…). Une idée absolument neuve, l’idée d’un culte fondé sur la pureté du cœur et sur la fraternité humaine, faisait par lui son entrée dans le monde ” (p. 93).  “ Jésus est l’individu qui a fait faire à son espèce le plus grand pas vers le divin ” (p.242)

 

Renan s’intéresse bien sûr aux sources : “ A quelle époque, par quelles mains, dans quelles conditions les Evangiles ont-ils été rédigés ? Voilà donc la question capitale d’où dépend l’opinion qu’il faut se former de leur crédibilité ” (p. 31)

“ On remarquera que je n’ai fait nul usage des Evangiles apocryphes (…). Au contraire, j’ai été fort attentif à recueillir les lambeaux, conservés par les Pères de l’Eglise, d’anciens Evangiles qui existèrent autrefois parallèlement aux canoniques et qui sont maintenant perdus, comme l’Evangile selon les Hébreux, l’Evangile selon les Egyptiens, les Evangiles dits de Justin, de Marcion, de Tatien ” (p. 45). “ Comme on croyait le monde près de finir, on se souciait peu de composer des livres pour l’avenir ; il s’agissait seulement de garder en son cœur celui qu’on espérait bientôt revoir dans les nues ” (p.33-34)

 

Il écrit de même (p. 41) que l’Evangile de Jean est une composition de “ pièces artificielles, qui nous représentent les prédications de Jésus comme les dialogues de Platon nous rendent les entretiens de Socrate. Ce sont en quelque sorte les variations d’un musicien improvisant pour son compte sur un thème donné ”. Tout un important appendice est consacré à l’étude du quatrième Evangile, dit de Jean, pour distinguer ce qui est probablement historique et ce qui ne l’est certainement pas.

 

“ Jésus naquit à Nazareth (…) et ce n’est que par un détour assez embarrassé qu’on réussit, dans sa légende, à le faire naître à Bethléem ” (p. 64). “ On chercherait vainement dans l’Evangile une pratique religieuse recommandée par Jésus ” (p. 147). “ Il violait ouvertement le sabbat et ne répondait aux reproches qu’on lui faisait que par de fines railleries ” (p.147).

“ Sa doctrine était quelque chose de si peu dogmatique qu’il ne songea jamais à l’écrire ou à la faire écrire. On était son disciple non pas en croyant ceci ou cela, mais en s’attachant à sa personne et en l’aimant ” (p. 235).

“ Que jamais Jésus n’ait songé à se faire passer pour une incarnation de Dieu lui-même, c’est ce dont on ne saurait douter. Une telle idée était profondément étrangère à l’esprit juif. Il n’y en a nulle trace dans les Evangiles synoptiques ; on ne la trouve indiquée que dans les parties du quatrième Evangile qui peuvent le moins être acceptées comme la pensée de Jésus ” (p.154).

 

Renan voit surtout en Ieshoua un réformateur : “  Jésus ne fut thaumaturge et exorciste que malgré lui (…). L’exorciste et le thaumaturge sont tombés, tandis que le réformateur religieux vivra éternellement” (p. 164).

 

Jésus affirmait “ une  morale exaltée, exprimée dans un langage hyperbolique et d’une effrayante énergie ”,, mais “  l’immense progrès moral de l’Evangile vient de ses exagérations ”. “ Son tempérament, excessivement passionné, le portait à chaque instant hors des bornes de la nature humaine ” (p. 184-186), mais “ le manque de nuances est un des traits les plus constants de l’esprit sémitique ” (p. I88). “ La passion, qui était au fond de son caractère, l’entraînait aux plus vives invectives ”. “ Plusieurs des recommandations qu’il adresse à ses disciples renferment les germes d’un vrai fanatisme ” (p. 189), mais “  les plus belles choses du monde sont sorties d’accès de fièvre ; toute création éminente entraîne une rupture d’équilibre ; l’enfantement est par loi de nature un état violent ” (p. 240). Renan ajoute : Une des idées fondamentales des premiers chrétiens était que la mort de Jésus avait été un sacrifice, remplaçant tous ceux de l’ancienne Loi ” (p. 212)

 

L’auteur écrit à la fin de son introduction : “ Pour faire l’histoire d’une religion, il est nécessaire, premièrement, d’y avoir cru (sans cela on se saurait comprendre par quoi elle a charmé et satisfait la conscience humaine) ; en second lieu, de n’y plus croire d’une manière absolue ; car la foi absolue est incompatible avec l’histoire sincère (…)

Aucune apparition passagère n’épuise la Divinité; Dieu s’était révélé avant Jésus, Dieu se révélera après lui. Profondément inégales et d’autant plus divines qu’elles sont plus grandes, plus spontanées, les manifestations du Dieu caché au fond de la conscience humaine sont toutes du même ordre; Jésus ne saurait donc appartenir uniquement à ceux qui se disent ses disciples. Il est l’honneur commun de ce qui porte un cœur d’homme. Sa gloire ne consiste pas à être relégué hors de l’histoire ; on lui rend un culte plus vrai en montrant que l’histoire entière est incompréhensible sans lui ” (p. 52-53)

 

Renan utilise une méthode scientifique : “ Une observation qui n’a pas été une seule fois démentie nous apprend qu’il n’arrive de miracles que dans les temps et les pays où l’on y croit, devant des personnes disposées à y croire ” (p. 48).

Mais on se méprendrait totalement à croire qu’il était un scientiste ou un rationaliste pur et dur. Ainsi, il écrit dans sa préface : “ Malheur aussi à la raison le jour où elle étoufferait la religion ! (…) Fausses quand elles essayent de prouver l’infini, de le déterminer, de l’incarner, si j’ose le dire, les religions sont vraies quand elles l’affirment. Les plus graves erreurs qu’elles mêlent à cette affirmation ne sont rien comparées au prix de la vérité qu’elles proclament. Le dernier des simples, pourvu qu’il pratique le culte du cœur, est plus éclairé sur la réalité des choses que le matérialiste qui croit tout expliquer par le hasard et le fini ” (p.23-24)

 

Etienne Godinot



[1] Ernest Renan – Vie de Jésus, Arléa, fév. 1992 (diffusion Le Seuil) .

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@2006  "Jésus Simplement" dernière mise à jour 11/04/2006