Bernard Feillet 

Extrait de la rencontre de L'Aube de mars 2002

 dans JS 34-35 07/08/2002

Prêtre, homme d'écriture et de conviction, Bernard a traversé au plus profond les ruptures, les mutations du catholicisme et de la société contemporaine. Il a publié "La nuit et le fou", "les fils dépossédés", "l'errance" et des livres d'entretiens avec Marcel Légaut et Jean Sulivan

accueil  rencontres  éléments de bibliographie   index textes contacts

... Je crois que nous serions globalement assez d'accord pour dire : on ne peut pas témoigner de Dieu, on ne peut pas dire véritablement une parole sur Dieu qui soit sur Dieu : elle peut être sur notre intérêt, sur ce qu'elle provoque en nous, mais comme dit Bonnöffer, ne jamais oublier « Dieu est au-delà de Dieu », que l'on va vers Dieu sans Dieu. C'est déjà plus difficile à explorer parce que cela veut dire que l'on n'attend rien de lui, ce qui n'est pas la pensée de Jean de la Croix, pas la pensée de tout un courant profond beaucoup plus religieux que nous ne le sommes.

Il faudrait peut-être reconnaître que nous sommes de moins en moins religieux, en ce sens que nous faisons de moins en moins usage de Dieu pour venir au secours de notre insuffisance et que nous sommes sortis d'un courant très honorable de piété qui comptait sur l'aide de Dieu, sur la grâce, son secours, son soutien... et qu'au fond, nous ne comptons plus beaucoup sur lui. Quand quelqu'un me dit « Priez Dieu qu'il m'aide, priez Dieu qu'il m'éclaire... », qu'est-ce que je fais, je dis "oui-oui... ", je n'en fais rien, je ne demande pas à Dieu de l'éclairer; je dis oui quand même, je ne vais pas dire non. Je souhaite en effet que vous soyez éclairé quand je dis oui, mais au fond, je ne compte pas sur l'intervention de Dieu, personnel, à l'égard des êtres.

C'est une grave question de dire ça comme ça et je ne voudrais pas le dire d'une manière négative. Je voudrais le dire d'une manière positive, comme une invitation quand c'est possible, à ce que chacun découvre en lui cette ressource qui est de l'ordre de plus que lui, donc de l'ordre du divin qui le met en disponibilité d'immense et d'infini et qui cependant n'est pas une intervention directe de Dieu dans sa vie : la découverte de son être comme disait Thomas d'Aquin, "capax dei", autrement dit, découvrir dans l'être de la capacité d'être ("capable " au sens d'avoir une capacité d'être en communion avec...) autrement dit, l'aide que l'on demande à Dieu, ne pas l'attendre de Dieu, mais la découvrir en soi comme une capacité à être en communion avec le divin. Ne pas attendre une intervention, mais décaper ce que l'on est et découvrir au meilleur de soi-même une capacité du divin. Ce qui à la fois ne met pas Dieu en dehors de notre vie, ne compte pas sur lui, ne prétend pas le connaître et rejoint en l'homme la capacité du divin plus que l'intervention du Dieu personnel. Essayer de rentrer dans cette capacité du divin comme constituant même la nature humaine comme totalement originale par rapport à l'ensemble des différentes natures qui composent "la" nature. La différence que l'on pourrait donner entre l'humanité et le règne animal, ce n'est pas l'intelligence, ce n'est pas la capacité de souffrir ou d'aimer, c'est essentiellement de l'ordre de la capacité du divin qui va se décliner (question de l'infini ... ).

 

Fondamentalement, est-ce qu'on ne pourrait pas dire que " Qu'est-ce que c'est qu'être un homme ?", c'est un être vivant qui est habité, porteur, animé, qui a en lui la ressource de la capacité du divin ; ne pas s'en dispenser et ne pas demander à la religion de nous dispenser de cette capacité du divin en nous donnant le Dieu qui intervient, et au fond, nous libérer, à partir de la capacité du divin, de toute forme d'idolâtrie sans nous renvoyer à la solitude de notre être dans une absence totale d'évocation du mystère de Dieu ; et par conséquent, renoncer à parler de Dieu, mais ne pas renoncer à notre capacité du divin qui serait le mystère de Dieu en nous, ce qui veut dire que ce mystère de Dieu ne peut être saisi qu'en nous-même et jamais en Dieu lui-même.

D'où mon recul, non pas agacé, mais critique ... (comme si c'était déjà devenu d'une autre époque), quand j'entends ce courant qui est passé de la toute puissance de Dieu à la tendresse de Dieu ; pour moi ça n'a aucun sens : c'est une manière de parler de notre désir d'être accompagné de la tendresse ; ça, c'est éminemment légitime. Je ne nierais à personne son désir d'un peu de tendresse dans l'existence, mais appliqué à une ressource théologique, ça me paraît un peu infantilisant. Pas besoin d'un Dieu qui soit tendre avec moi, je ne lui demande pas ça, la tendresse je la cherche ailleurs... De même parler de la vulnérabilité de Dieu, de son impuissance, cela n'a aucun sens pour moi... Ce sont des expressions faciles, aimables, pas agressives..., gentilles...

(suite et fin de cette intervention de B. Feillet dans le prochain n°)

de Bernard Feillet

 

accueil  rencontres  éléments de bibliographie   index textes contacts


@2006   dernière mise à jour 11/04/2006